P. Antoine Tien Nhat NGuyen, Vous êtes vicaire dans le secteur paroissial de Gordes, vicaire et jeune prêtre de quasiment 1an. Qu’avez-vous envie de me dire sur cette première année de sacerdoce ?
P. Antoine : J’ai été ordonné le 22 juin 2014 en l’église du Sacré Cœur à Avignon. L’évêque m’a nommé vicaire à Gordes pour 3 ans et je collabore avec le Père Michel Berger en travaillant à la pastorale dans ce secteur. Ce qui me touche et me réjouis dans mon ministère, ce sont toutes les merveilles de Dieu que je n’imaginais pas et qui se réalisent en moi. Comment un Vietnamien qui vient en France pour devenir prêtre, peut-il accompagner les personnes d’ici dans la vie spirituelle ? Au Vietnam, nous avons reçu la foi grâce aux Français, mais nous l’avons reçue tard. Je me pose souvent la question : « Comment est-ce possible ? » Ou « Comment puis-je faire ceci ou cela ? » Et quand je réfléchis, je m’aperçois que c’est le Seigneur qui fait des merveilles à travers ma vie. C’est Lui qui m’a appelé et c’est Lui qui m’a conduit. Moi, je ne suis que l’instrument pour travailler à sa vigne. Sans Dieu, je ne peux rien faire, mais avec Lui, tout est possible. Je suis un être humain, faible, pécheur comme tous les autres, mais si je fais la volonté de Dieu, alors je découvre les merveilles de Dieu ; il suffit alors de faire confiance à Dieu et je découvre la joie. C’est important non seulement pour moi, prêtre, mais pour toutes les personnes dans leur vie quotidienne.
Est-ce que cela veut dire que vous avez été étonné de vous retrouver prêtre ici en France, dans un pays de culture différente ?
Depuis tout petit, au Vietnam, je voulais être prêtre : je voulais être prêtre dans mon pays. Je ne pensais pas du tout que je devrai quitter mon pays pour venir ici. Je ne l’imaginais absolument pas ! Et quand Dieu m’a appelé à venir ici, j’ai eu beaucoup de difficultés notamment la difficulté de la langue. A mon arrivée, je ne connaissais aucun mot de Français.
Il y avait aussi la difficulté de la culture inconnue. Pour la première fois, je quittais ma famille, mes amis, mes proches pour partir très loin. Au début, j’ai beaucoup pleuré et je téléphonais à ma mère en lui disant que je voulais rentrer. J’aurais aimé savoir parler mais je ne pouvais pas et n’avais donc aucune relation avec les autres. Au Vietnam, culturellement, on vit ensemble avec la famille et quand je suis arrivé en France, j’étais dans une chambre vide ; j’y restais seul, car je ne pouvais communiquer.
Mais en lisant la Bible, je me suis senti comme Abraham quand Dieu lui dit : « Va, quitte ton pays et ta famille et va dans le pays que je te montrerai » (Genèse 12, 1). Il ne sait pas où il va, mais Abraham fait confiance. Et pour moi c’était ça aussi, et j’avais l’impression que presque tout pour moi recommençait à zéro. Comme Abraham, il fallait que j’aie seulement foi en Dieu.
Avec le temps, j’ai appris la langue et j’ai pu ainsi communiquer, avoir la joie de rencontrer les autres, d’avoir des amis. Dieu ne m’abandonnait pas. Je marchais avec Lui comme un enfant, en Lui confiant mes difficultés, et en étant à son écoute pour continuer mon chemin. Ma vie m’appartient, parce que je peux faire ce que je veux, mais avant tout, ma vie appartient à Dieu. Il faut participer à l’œuvre de Dieu pour que la volonté de Dieu se fasse en nous et que nous connaissions ainsi la vraie liberté.
C’est assez contradictoire avec l’idée commune de la liberté. Car pour le monde, faire la volonté de Dieu signifie davantage soumission que liberté !
Ce n’est pas de la soumission où Dieu nous ordonnerait de faire ceci ou cela. Regardons la Vierge Marie : Dieu a un projet pour Marie. Il envoie l’Ange pour demander son acceptation. La Vierge Marie avec foi et confiance, dit Oui. Elle trouve la liberté dans le don total. Mais il est vrai que dans le monde d’aujourd’hui, c’est très difficile.
Pour revenir à votre parcours et à votre vocation aux débuts relationnels difficiles, pouvez-vous dire que vous avez expérimenté la Parole de Jésus : « Personne n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres » (Mc 10, 28-31)
Je ne peux pas quitter ma mère, mon père, mes sœurs : mes parents sont mes parents et je serai toujours leur enfant. Mais j’ai quitté la famille pour aller faire quelque chose de plus grand : je voulais être prêtre, consacrer ma vie au Seigneur. Avant tout, le Seigneur m’appelait et je répondais à son appel. Mes parents m’ont encouragé à répondre à cet appel car ils respectaient ma vie, tout en étant à mon écoute, en me conseillant. Et puis les parents veulent toujours le bonheur de leurs enfants ! De plus, dans ma culture, un enfant qui devient prêtre, c’est la joie pour les parents et toute la famille.
Et aujourd’hui au terme de cette première année de sacerdoce ?
Je dis toujours que je suis un bébé prêtre. C’est un peu comme quand on passe le permis de conduire et que pendant 3 ans on est jeune conducteur. Ici, à Gordes, je continue à apprendre et à connaitre la vie paroissiale, comment travailler, comment collaborer avec le curé dans la mission d’évangélisation…selon le Pape François qui appelle sans cesse à sortir de soi-même pour aller vers l’autre. Ma mission est d’être le témoin de la Bonne Nouvelle du Christ ressuscité pour nous. Depuis 1 an que je suis prêtre ici, il y a des difficultés et des joies.
La première difficulté est que dans mon pays, tout le monde va à la Messe ; et ici, en France, on ne trouve presque personne, sauf des personnes âgées…les jeunes, de temps en temps. Mais cela ne me décourage pas, parce que je suis là justement pour ça.
Il y a aussi les personnes qui viennent demander un baptême, un mariage, des obsèques, c’est bien de les accompagner, de faire un chemin avec eux. Cependant, souvent, les personnes qui viennent disent qu’elles ont la foi mais qu’elles ne sont pas pratiquantes…bizarre pour moi ! En fait c’est un peu comme une éponge qui n’est efficace que si elle est mouillée ; si on la range dans un placard, avec le temps, elle se dessèche, devient dure. Il en est ainsi d’un baptême donné, mais sans suite, sans un peu d’eau pour que cette vie donnée ne se dessèche pas. Dieu nous donne 24h et nous, nous n’avons pas de temps pour Lui, car ici, les vies sont bien trop remplies, avec une quête toujours plus grande de biens matériels. Cette vie quotidienne bien remplie représente un pied sur les 2 que nous avons, le second étant notre vie spirituelle. Si nous perdons un pied nous ne mourons pas, mais il devient alors très difficile de marcher, d’avancer dans notre vie qui n’est pas alors équilibrée. C’est une difficulté car on n’est jamais comblé dans la vie quotidienne : on en veut toujours un peu plus, d’où insatisfaction et tristesse !
Quand est-on capable de dire « ça suffit pour moi ! »
Chacun a une mission propre : prenons le temps de la découvrir en prenant du temps pour Dieu !
Qu’est ce qui fait votre plus grande joie de prêtre ?
Ce sont les personnes qui viennent vers le prêtre pour me confier tel souci, telle peine ou difficulté et ce partage se fait à cœur ouvert. Je ne pouvais imaginer de tels partages basés sur la confiance envers la personne du prêtre que je suis…alors même que j’ai une petite connaissance par rapport à des personnes que je rencontre et qui sont souvent bien plus diplômées que moi. Quelle joie me donne ainsi le Seigneur !
Comment imaginer aussi que des personnes viennent demander une bénédiction ? Moi, je vis dans le temps présent et je goûte cette merveille de la bénédiction de Dieu donnée à travers moi. J’ai quelquefois pleuré de joie de voir que tout est possible pour Dieu.
C’est pour cela que pour mon ordination sacerdotale, j’ai choisi la Parole de Saint Paul : « Ma grâce te suffit. »(2 Co 12, 9)
Cette phrase vous porte toujours aujourd’hui ?
Oui plus que jamais ; pour mon ordination diaconale, j’avais choisi : « Je suis venu non pour être servi mais pour servir » (Mt 20, 28) Voilà ma mission, et avec « ma grâce te suffit », je trouve la joie, les merveilles dans ma vie.
Quel est le souvenir le plus fort que vous gardez de votre ordination ?
Tout au long de la cérémonie, j’ai sans cesse remercié le Seigneur. Car, depuis longtemps je rêvais de devenir prêtre et pour ce faire, cela fut très difficile.
Comment cela ?
Je suis arrivé en France en 2004. En 2005, je suis rentré en propédeutique, puis j’ai fait 2 ans en philosophie. Au terme de la deuxième année de philosophie, le responsable du séminaire me dit qu’ils ne peuvent continuer avec moi…
Je suis alors venu à Avignon rencontrer l’évêque pour savoir ce qu’il pouvait me proposer. Il m’a répondu qu’il ne pouvait pas revenir sur la décision du séminaire et m’a conseillé de partir 2 ans, de faire ce que je voulais ce temps-là et de revenir ensuite vers lui… si j’avais toujours la vocation !
Je suis donc parti, encore une fois, dans la confiance : entre les mains du Seigneur je remettais ma vie. Mon titre de séjour touchait à son terme ; il fallait que je trouve une inscription universitaire pour pouvoir rester, car, en plus je ne voulais pas dire à mes parents que je n’étais plus au séminaire- ce fut très éprouvant de cacher cela à ma maman qui m’appelait pour m’encourager et me soutenir-Mais pour l’heure, comment faire en plein été, pour trouver une place à l’université et justifier de 5000 euros sur mon compte bancaire, alors que je n’en avais que 600 ! Le Seigneur ne m’a pas lâché ! Deux semaines plus tard, j’ai trouvé une formation de bibliothécaire…mais qui exigeait 1200 euros. Alors je suis retourné voir Mgr Cattenoz et lui ai dit : « S’il vous plaît, aidez-moi ! ». Il m’a prêté l’argent !
Quant au logement que je ne trouvais pas, il me fut donné par un ami séminariste avec qui j’étais resté en contact et qui me proposa d’aller habiter chez ses parents qui justement habitaient Grenoble, lieu de ma formation de bibliothécaire. En même temps, je me suis mis à chercher du travail dans tous les hôtels et restaurants asiatiques de Grenoble, mais il n’y avait rien pour moi. Deux mois plus tard, j’avais entendu dire qu’il y avait une Messe pour la communauté vietnamienne de Grenoble ; j’y suis allé et j’ai rencontré une sœur…et le lendemain, elle m’a appelé pour me dire qu’elle avait trouvé un travail pour moi ! Volonté de Dieu qui trouve facilement pour moi !
Les deux années ont donc passé et je suis retourné à Avignon où l’évêque m’a donc accueilli et a voulu m’envoyer dans un nouveau séminaire. Mais cela n’a pas été possible. Alors, je me suis décidé à m’inscrire à la faculté de théologie. Et là, je suis parti à Toulouse, à l’Institut catholique. Je logeais dans un foyer étudiant chez les Dominicains. En même temps, j’ai trouvé du travail dans une association d’aide à domicile pour personnes âgées ou malades. J’ai trouvé un Père spirituel et au bout d’un an de théologie, il m’a conseillé de retourner voir l’évêque. Mgr Cattenoz me demanda alors ce que je devenais. Je lui répondis que j’étais à Toulouse et que je venais lui demander une attestation disant que j’étais séminariste pour le diocèse d’Avignon.
Fidèle à la parole donnée, connaissant mon Père spirituel ainsi que les professeurs de Toulouse, Mgr Cattenoz me reprenait donc comme séminariste, tout en me laissant continuer la théologie à Toulouse, et tout en restant en contact étroit avec mon Père spirituel.
Je suis donc un cas particulier, avec seulement 3 ans au séminaire. Mais pendant mes années à Grenoble et à Toulouse, je n’ai cessé d’apprendre et d’améliorer les activités pastorales à la paroisse : animation à la messe, catéchisme, prière, apporter la communion aux personnes et aussi la rencontre des personnes isolées, âgées et malades à travers mon travail etc…
C’est donc tout cela que vous avez remis devant le Seigneur le jour de votre ordination ?
Oui, j’ai dit : « Comment est- ce possible Seigneur que je sois là aujourd’hui ?! »
Mon curé, P. Michel Berger m’appelle « le survivant » !
Oui le jour de mon ordination, je rendais grâce à Dieu pour toutes ses merveilles que je n’imaginais pas …et maintenant je suis prêtre !
Comment voyez-vous l’avenir ?
Dans le passé, j’ai déjà mis ma vie entre les mains du Seigneur. Pour l’avenir, je continue.
Et je confie au Seigneur que si dans l’avenir, je viens à tomber, je demande qu’Il me relève et que je marche toujours à sa suite.
Quel est le message essentiel que vous voulez transmettre ?
Ne cherchez pas les biens ici-bas. Faites confiance au Seigneur. Remettez votre vie entre les mains du Seigneur. Comme Jésus qui remet sa vie entre les mains du Père, nous aussi, à la suite du Fils, nous sommes enfants de Dieu et nous devons remettre notre vie entre les mains du Seigneur. Croyez en Dieu et pas en vous-même : vous découvrirez alors les merveilles de Dieu dans votre vie, et gouterez à la joie. Entrez dans la prière de Jésus : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. »(Jean 17, 24.) Voilà ce que je veux transmettre !